témoignages + 2001 février 1 - UN VENT DE CHANGEMENTS SOUFFLE SUR LE MOJOCA
Chers amies et amis des filles et garçons de la rue,
Déjà deux mois depuis mon arrivée au Guatemala. Et je ne m’en suis pas rendu compte tellement j’ai été pris par les engagements, les nouveautés et les changements. Je vous ai déjà écrit que lors de l’assemblée générale de décembre, on avait décidé de changer les modalités d’élection du Comité de gestion : non plus les filles et garçons insérés dans la société, mais les représentants des différents collectifs du Mojoca. Ce nouveau comité a aussitôt pris des décisions radicales.
Une révolution culturelle
Lors de l’assemblée générale de décembre, Diana Pernilla a été élue présidente du Mojoca. Depuis Noël jusqu’au 10 janvier, les différents groupes ont choisi leurs représentants. Même les Mariposas de 7 à 12 ans ont élu leur représentante, une Quetzalita parce qu’ils sont à l’école quand il y a les assemblées. Ils l’ont fait avec beaucoup de sérieux, en demandant aux candidates de se présenter et leur posant quelques questions pour mieux les connaître. Ils ont voulu que le vote soit secret et à une large majorité, presqu’à l’unanimité, ils ont choisi Claudia Carrera. Le comité compte maintenant dix membres : deux représentants de la rue, et un de l’école et des ateliers d’initiation au travail, des maisons des filles et garçons, des ateliers de production, des Quetzalitas, de Nouvelle génération et des Mariposas. Les filles et les garçons de « Génération du changement » que les plus grands des Mariposas ont rebaptisé « groupe de jeunes ». Ils ont choisi Glenda Lopez pour être leur porte-voix avec droit de vote au comité de gestion de l’assemblée.
Dès la première réunion, le nouveau comité a pris des décisions importantes. Il a invalidé la décision des Quetzalitas de supprimer leur repas et celui des Mariposas à la fin des deux réunions qui se tiennent chaque mois. Ils voulaient épargner de l’argent, mais le comité était d’avis qu’on ne pouvait renvoyer à la rue les fillettes et les petits garçons avec l’estomac vide. De plus ils disaient que le repas et le temps après le repas étaient des moments privilégiés de socialisation pour les enfants et leurs mères.
En outre, le comité de gestion a accepté la proposition des représentants de la rue de donner une bourse pour les études supérieures aux filles et garçons qui actuellement vivent en rue et de présenter cet amendement au manuel de fonctionnement lors de la prochaine assemblée.
De plus, il a fait preuve d’autorité en examinant les critiques des jeunes sur le comportement autoritaire de certains travailleurs, en décidant de demander à la responsable du personnel d’intervenir.
Une Assemblée Générale constituante
Le 18 février, la maison était pleine de filles et garçons de tous les collectifs du Mojoca. C’était un jour important parce qu’on devait voter les modifications du « Manuel de fonctionnement du Mojoca », qui fixe les règles de fonctionnement de chaque programme, des droits et devoirs de ceux qui y participent, l’organisation même du Mouvement.
Ce manuel est modifié chaque année en fonction de l’expérience de la période précédente mais jamais jusqu’à présent, il n’y avait eu une telle quantité de propositions de changement, formulées de tous les collectifs du Mojoca. Déjà en décembre, on avait voté les modifications de la composition du département administratif et du Comité de Gestion. Vendredi passé, il s’agissait d’examiner pas moins de 21 propositions. Les filles et les garçons se sont divisés en cinq groupes et pendant environ 2 heures, ils ont discuté sur les différentes propositions et les ont votées. Mais déjà avant le début des travaux de groupe, l’assemblée avait voté à l’unanimité la proposition de reconnaître aux filles et garçons de la rue qui participaient aux activités du Mojoca le droit de vote pour leur permettre de prendre les décisions avec le groupe de travail dont ils faisaient partie.
Une seule proposition fut rejetée avec une large majorité, à savoir celle d’abaisser de 30 à 28 ans l’âge pour participer au Mojoca. Toutes les autres propositions ont été approuvées à une majorité confortable, mais jamais à l’unanimité. Parmi les plus importantes, signalons l’octroi de bourses d’études sous conditions précises aux jeunes qui actuellement vivent en rue, la création d’un poste de « Défenseur des Droits individuels » à qui on peut recourir quand on juge qu’un de leurs droits n’est pas respecté. « Suppression des bourses d’étude » quand pendant deux ans à cause du manque d’engagement, on n’a pas réussi à passer à l’année suivante. On a aussi approuvé les normes pour les ateliers de production, les services juridiques, psychologiques et de santé.
Cette assemblée était constituante. Maintenant on attend du Comité de gestion, le gouvernement du Mojoca, de veiller à l’application de ce manuel. Le type d’éducation du Mojoca est en évolution constante en fonction des succès et surtout des échecs que nous rencontrons et qui font l’objet d’une évaluation critique et sont analysés à la fin de chaque mois et de chaque semestre. Plusieurs amies et amis ont insisté pour que j’écrive un livre sur la méthodologie de l’amitié libératrice. Mais ce livre existe déjà et est mis à jour chaque année. C’est le Manuel que je ferai placer sur le site dès que nous aurons le temps d’apporter toutes les modifications qui ont été décidées. C’est un livre écrit par toutes les filles et garçons du Mojoca.
Le chœur du Mojoca chante les rêves de changement
L’an passé, Theresia Bothe, célèbre cantatrice de musique baroque et populaire, a fondé le chœur du Mojoca et une école de musique dirigée par Salvador Ovalle, musicien guatémaltèque. Theresia est retournée au Guatemala avec un de ses amis, un musicien italien, Michelangelo Rinaldi. Ils préparent un concert qui se donnera au Mojoca le 12 février prochain et d’autres dans la capitale et à Antigua. Theresia, en plus d’être une excellente cantatrice, est une personne capable de trouver des volontaires pour le Mojoca et aussi une observatrice attentive de la condition des filles et des garçons de la rue avec lesquels elle s’identifie et qu’elle comprend avec une réelle empathie. C’est aussi une poétesse, elle écrit les textes des chansons qui expriment la dureté de la rue, les rêves de ceux qui y habitent, les difficultés d’en sortir, le bonheur de ceux qui y parviennent. Elle fait aussi connaître le Mojoca. Avec l’aide d’autres musiciens et le chœur du Mojoca, elle gravera un CD que nous diffuserons en Europe.
Michelangelo vit dans la maison des amis qu’il encourage à réaliser leurs rêves. Il a organisé une excursion hors de la ville avec les habitants de la Maison du huit mars et de la Maison des Amis. Merci Michelangleo et Theresia !
La Maison des amis
Vous connaissez déjà les grosses difficultés qu’a connues cette maison en particulier l’année passée et qui nous ont obligés à changer les éducateurs et à fermer la maison pendant un mois. Elle a été confiée à un vétéran du Mojoca, René Cordero, aidé du maître Erik, de Cirilo, d’Alfonso et du volontaire italien Valentino Bacco. Lors de l’assemblé de décembre, le principal point à l’ordre du jour était le débat sur la façon de sauver la maison. La veille de Noël, tous les candidats ont été invités à un repas. Les jours suivants, neuf garçons sont entrés dans la maison.
Maintenant la maison fonctionne bien et a déjà obtenu de bons résultats : Carlos Boc s’est réinséré dans sa famille et travaille comme assistant menuisier avec un oncle. Osman, Christian et Manuel ont aussi trouvé du travail. David après avoir obtenu sa carte d’identité et les papiers nécessaires, se mettra à la recherche d’un travail. Il veut mettre de l’argent de côté pour louer une chambre où il vivra avec sa jeune épouse de 15 ans, Magdalena, qui devrait avoir une petite fille dans les prochains jours. Tous les autres étudient dans notre école interne et fréquentent les ateliers d’initiation au travail.
Quelques nouvelles en quelques mots
Vous avez déjà reçu les photos du mur peint à l’entrée de la 13e rue par les filles et garçons du groupe « Génération du Changement » avec l’aide de Valentina, qui est déjà retournée en Italie, en laissant la place à Eloisa. Tout le monde a travaillé avec liberté et créativité et le résultat est apprécié de tous ceux qui contemplent la peinture.
Le groupe « Génération du Changement » a commencé immédiatement à fonctionner en autogestion et ils se sont réunis d’eux-mêmes pour prendre leurs décisions en élisant Germania Cragua comme coordinatrice du groupe et Javier Higueros comme secrétaire. Ils ont décidé de faire une recherche sur les drogues et leurs effets.
De même le groupe de la rue, sous l’impulsion du maître Erik et de Mirka, fonctionne beaucoup mieux. Mercredi passé, Erik est devenu le papa d’un beau petit bébé et c’était la joie dans toute la famille Maya. Moi aussi, j’ai recommencé à aller dans la rue qui est le lieu où se construit le Mojoca.
Mirna Cuté avec ses six premiers apprentis de notre entreprise de la rue et les instructeurs des travailleurs prennent en charge cette nouvelle initiative. Mais le démarrage n’est pas si facile étant donné que nous avons dû nous séparer de deux maîtres de l’atelier de boulangerie-pâtisserie, l’un pour manque de fiabilité, l’autre pour incompétence.
Il n’est pas facile de trouver des travailleurs disposés à collaborer avec les jeunes de la rue. Nous sommes à la recherche d’un éducateur pour la maison des garçons, un maître pour la boulangerie-pâtisserie et un maître pour l’école interne.
L’école fonctionne également mieux. Les succès de l’année passée ont donné une grande impulsion : 14 élèves de l’école interne, « L’école de l’Amitié », 24 jeunes qui étudiaient dehors et environ une centaine d’enfants des Mariposas ont réussi. L’école a commencé depuis quinze jours et nous avons déjà 25 élèves internes et le nombre grandira d’autant plus qu’ils peuvent commencer l’école n’importe quand dans l’année. Le programme de PENNAT, approuvé par le ministère de l’instruction publique est très flexible et s’adapte au niveau de connaissance de tout élève Nous avons déjà donné des bourses d’études à dix jeunes qui étudient en primaire, à quinze qui étudient dans le secondaire et à douze qui étudient dans le secondaire supérieur. Plus de cent enfants étudient régulièrement dans l’école primaire. Deux Quetzalitas sont déjà inscrites à l’université et les autres doivent encore passer l’examen d’entrée. Cinq travailleurs dont deux avec une expérience de la rue étudient à l’université. Pour se rendre compte du progrès il suffit de rappeler qu’il y a dix ans seulement, deux ou trois d’entre eux commençaient les études primaires.
Jeudi 3 février, Roberto Giovannini et sa femme Angela, en provenance de Lucca en Toscane, arrivent au Guatemala pour tourner une autre vidéo sur la méthode éducative du Mojoca. La réalisation se fera avec la participation du Comité de gestion. Et nous espérons que cette fois nous aurons aussi une version en espagnol et en français.
Dans la maison du Huit Mars, il y a maintenant onze filles et huit enfants qui seront bientôt 10 avec la naissance de la fille de Magdalena et David et le fils de Paola. Le climat de la maison est pacifique et les filles occupées dans le soin aux enfants, à l’étude et au travail.
La restructuration du département administratif porte déjà ses fruits et toutes les travailleuses, Diana Pernilla, présidente du Mojoca, Glenda Lopez, responsable des programmes et relations internationales, Silvia Garcia, responsable financière, Antonieta Marroquin, comptable principale, Mirna Cragua, secrétaire administrative et Maria Elena Larios, secrétaire, travaillent très bien ensemble. Le travail est très complexe, il est organisé selon un manuel de gestion administrative qui est amélioré chaque année. Les réviseurs de comptes d’un bureau reconnu par le gouvernement ont commencé l’analyse des opérations financières et de la gestion des ressources de l’année passée.
Eugenia Poli et Valentina Auletta, qui ont fait une année de service civil international avec un projet de Mani Tese ont terminé leur temps de volontariat. Valentino Bacco, qui terminera le 15 février son stage de psychologie et qui a aussi travaillé dans la rue et en plus dans la maison des Amis, retourne lui aussi en Italie. Liv Patte (d’Allemagne), reste encore quelques semaines et fait avec nous son troisième volontariat. En novembre Caroline Demarque (de Belgique) nous a quittés et nous a envoyé une analyse très utile sur le travail de rue. Les volontaires sont toutes et tous, très utiles au Mouvement et leur amitié peut parfois être décisive dans les choix de vie des filles et garçons. C’est ce que j’ai constaté aussi avec Valentina Zuluaga, ma collaboratrice, qui avait un rapport privilégié avec les enfants et c’est la même chose avec Eloisa Quiroa, qui gagne facilement l’amitié et les confidences des filles grâce à ses talents de coiffeuse. A toutes et tous un merci plein d’affection.
2011 est une année très importante pour le Guatemala. C’est l’année de l’élection du nouveau président de la république et des parlementaires. La situation est très préoccupante. D’un côté, il n’y a pas de parti représentatif de la société civile et des mouvements populaires et on trouve comme candidats aux élections des gens dangereux comme la fille de l’ex dictateur génocidaire, le général et pasteur évangélique Ephraim Riosmont qui jouit de l’impunité et encore plus dangereux le « Partido Patriottco »de l’ex général Otto Perez Molina qui organise la violence dans le pays, pour pouvoir se présenter comme le défenseur de l’ordre public. On attribue à ce parti les récents attentats dans les transports publics où ont explosé des bombes qui ont fait des dizaines de morts et de blessés. Le Mojoca s’associera aux tentatives de barrer la route aux partis fascistes des militaires en procurant des documents d’identité à un maximum de jeunes de la rue et en les informant des objectifs et des programmes des candidats et partis qui se présentent aux élections.
Il est temps que le Mojoca ait son site Internet www.mojoca.gt (encore en construction) et un groupe sur Facebook en espagnol. Je vous demanderai conseil parce qu’au Mojoca, nous n’avons personne qui soit webmaster.
Le Mojoca ne disparaîtra pas
Je vous ai parlé la fois passée des problèmes économiques qu’affronte le Mojoca. Mais nous ne nous laissons pas conditionner par ces difficultés et nous continuons à prendre les nouvelles initiatives quand elles sont utiles aux filles et garçons de la rue.
Mon appel à votre générosité a été entendu. Merci. Au Guatemala, Glenda a mis au point un programme de recherche de fonds. Theresia nous trouve de nouveaux amis et amies. Ce problème sera le thème principal de la prochaine assemblée générale juridique le 18 février prochain.
Nous avons décidé de concourir à l’invitation de l’UE au Guatemala sur le thème « défense des droits humains des catégories les plus exclues et participation par la création d’une société plus démocratique et juste. » Notre projet peut très bien s’insérer dans cette problématique. Mais pour une petite organisation comme la nôtre aux prises avec mille problèmes de la vie quotidienne, il n’est pas facile d’élaborer des projets très compliqués. Comme disait un ami belge « Ces concours favorisent les multinationales de la solidarité qui ont des bureaux de projets, des spécialistes des différents problèmes capables de faire des analyses poussées, des secrétaires multilingues. » Nous au contraire, nous devons négliger d’autres obligations pour élaborer ces projets. Nous avons l’avantage de vivre avec les filles et les garçons de la rue, de connaître leur problèmes, d’élaborer avec eux nos propositions. Nous espérons obtenir une partie des 96.000 euros que nous avons l’intention de demander à la délégation de l’UE au Guatemala pour un projet intitulé : « Organisés, les filles et garçons de la rue peuvent défendre leurs droits et contribuer à la construction d’une société démocratique et plus juste. »
Chers amies et amis, je pense avoir écrit les nouvelles les plus importantes. Je vous enverrai une autre lettre de la rue au début de mars et j’aurai beaucoup à vous raconter parce que février sera un mois plein d’activités et de rencontres. La date de mon retour en Europe, le 26 mars prochain, s’approche déjà. Ce ne sera pas facile pour moi de laisser les enfants, les filles et garçons du Mojoca et de la rue. Mais j’aurai le bonheur de vous revoir lors de l’assemblée en mai et dans les rencontres déjà programmées en différents lieux d’Italie et de Belgique. Tous les garçons et filles vous embrassent affectueusement, ils tiennent beaucoup à vous et savent qu’ils peuvent compter sur votre amitié.
Gérard.