Témoignages + 2006 octobre 29 Mort de Miguel
AINSI MEURENT LES ENFANTS DES RUES
Il y a quelques jours Miguel est mort dans un hôpital de la capitale du Guatemala après des semaines de coma. Miguel avait dix-sept ans environ. Il fréquentait l'école de notre mouvement des jeunes des rues. Il voulait entrer dans la maison que nous allons ouvrir bientôt pour les garçons des rues. Mais, vers la mi-octobre, des tueurs ont battu Miguel à mort.
En Amérique centrale, les gouvernements font la guerre aux jeunes. Une trentaine sont tués chaque jour au Guatemala. On n'en parle pas. Que valent les centaines de jeunes qui meurent chaque jour en Amérique face à quelques soldats américains envoyés à la mort en Irak?
Ceux d'entre vous qui ont été récemment au Mojoca se souviendront de Miguel, cet adolescent taiseux, tranquille, solitaire, qui avait trouvé sa famille dans je Mouvement. Julie, qui l'a visité, la veille de sa mort, m'a écrit combien il luttait pour vaincre la mort. Il est mort seul dans un hôpital désolé et inhumain où l'on peut entrer pour une heures ou deux, deux fois par semaine seulement.
Je n'oublierai jamais Alejandra, dix-neuf ans, qui se mourait de sida dans cet endroit maudit. Des toutes les forces qui lui restaient elle me serrait la main pour que je ne l'abandonne pas, mais les infirmiers implacables nous chassaient. Des compagnons qui voulaient revoir Miguel ont trouvé son lit vide. On n'avait pas averti le Mojoca de sa mort. Il est mort seul, il n'a pas été veillé dans la maison du mouvement, ses copains et ses copines n'ont pas pu l'accompagner au cimetière.
Les assassins jouissent de l'impunité. Ils sont au pouvoir au Guatemala et dans le monde.
Miguel, frère, ami, compagnon de route, ta mort sera vengée. On ne va pas baisser les bras, on n'a pas peur des ces lâches qui se mettent à plusieurs qui ont des armes et des voitures et profitent de la nuit pour éliminer les jeunes des rues.
En souvenir de toi j'ai traduit la poésie d'une Nicaraguayenne sur la mort d'un enfant.
Gérard
Cet enfant est mort de déshydratation,
de dénutrition, si tu préfères.
Mais il est mort aussi d'autre chose
qui ne trouve pas sa place dans un acte de décès
dans une histoire
dans une lamentation.
Il est mort d'avoir traversé pieds nus et seul
la grande douleur
il est mort de siècles de faim et de froid
il est mort de ne pas avoir des rêves coloriés aux crayons de couleur
il est mort de pas avoir connu le sourire
et la brièveté des dimanches
et ce qui se cache sous la tente du cirque.
Et il est mort aussi de l'échange inégal
de l'impérialisme
du blocus
du dollar financier de la mort
des députés complaisants
qui approuvent des devis d'horreur
il est mort de tout ça qui peut te paraître un pamphlet
mais.. vois-tu, qui tue
Cet enfant est mort aussi de toi et de moi
qui nous mêlons les pieds dans des papiers et des discours
alors qu'il nous fallait courir pour poignarder sa mort.
Maintenant qu'il s'en est allé de nos mains
comme un petit insecte merveilleux
qui nous échappe de façon irrémédiable
aide-moi à me refaire le monde
parce que la mort d'un seul enfant
est une condition
terriblement suffisante
et de façon urgente nécessaire
de se refaire le monde.
Il faudra resserrer des vis
et changer des ressorts
et renverser des structures
et indiquer les coupables
avec leurs prénoms, noms et comptes bancaires.
Aide-moi parce que j'ai peur de haïr
que m'importe l'amour
si se meurt un enfant.
Mariana Yonusg Blanco