le projet + APPROFONDISSEMENTS + 1998 - leur histoire s'écrit dans la rue

 

Il y a bien longtemps leur histoire s’écrivait dans les étoiles.

 

C’est l’histoire d’un peuple aux origines mystérieuses qui regardait le ciel du haut des observatoires et des temples qu’il avait construits au milieu de cités magnifiques.

 

Ce peuple, les Mayas, savait tout des calendriers solaire et lunaire et possédait un système complet d’écriture.

 

Aujourd'hui, cette civilisation a mystérieusement disparu… Il reste pourtant un peuple irréductible que la conquête espagnole et les diverses colonisations plus récentes n’ont pas abattu. Colonisation économique des Etats-Unis. les dictatures militaires, l'exploitation par les grands propriétaires en on fait un peuple dépouillé, humilié, martyrisé souvent jusqu'à la mort. Mais ce peuple a su garder son identité. Elle est forte.

Elle est la plus visible dans la façon de s’habiller et de vivre, dans un humour qui lui permet, à travers la dérision envers les envahisseurs d’hier, de se moquer des exploiteurs d’aujourd’hui.

 

Il a gardé ses croyances ancestrales qui se sont coulées, par exemple dans le culte catholique. Il n’est pas rare de découvrir dans une chapelle isolée ou même dans des églises comme celle de Chichicastenango un jour de marché ces anciennes pratiques du peuple maya. Chichicastenango est un des marchés les plus connus du Guatemala où les touristes viennent admirer l’incroyable richesse des vêtements, des tissages et d’autres objets artisanaux que les indigènes viennent proposer depuis leurs villages de montagne.

 

Et s’il y a un grand marché touristique il y a aussi le marché les indigènes se retrouvent et s’échangent les denrées dont ils ont besoin; c’est moins coloré, mais c’est plein de senteurs et de convivialité.

Et derrière des attitudes qui paraissent faites de docilité et de passivité, on découvre une profonde capacité de résistance.

Ce peuple sait durer. Il faut savoir ce qui s’est passé derrière les murs sinistres des casernes et des prisons, il faut avoir parcouru l’altiplano et contemplé avec émotion les martyrologes des églises pour entrevoir ce qu'ont coûté de sang et de vies humaines, la résistance ou la révolte.

 

Faut-il rappeler les sinistres escadrons de la mort, au service de la dictature et de la CIA, dans les années 80 ?

Aujourd’hui, le Guatemala est une démocratie toujours pilotée, hélas, par ses vieux démons: les anciens militaires nostalgiques d'une dictature de droite asservis aux piuissances économiques.

L’église est la seule institution qui paraît capable de tenir tête. Les conclusions de la commission des droits de l’homme qu’elle a mise en place sont accablantes pour le régime si bien que deux jours après la parution du rapport, son président, l’évêque Girardi est assassiné sauvagement. L’enquête n’a pas abouti.

Des prêtres sont menacés et parfois contraints à quitter le pays pour un temps contre leur gré.

Les femmes sont très présentes dans les groupes de conscientisatoin et de résistance. Elles savent les homes disparus ou assassinés, elles sont souvent à la base des mouvements associatifs ou à l’origine des actions de conscientisation et de résistance.

Le monde paysan est un des  plus pauvres de la planète : il est exploité et dépossédé par une poignée de propriétaires et il voit son fardeau s’appesantir de jour en jour.

 

Et pourtant le Guatémala ne manque pas de richesses…  Aux mains de quelques uns, elles s'étalent insolemment dans le quartier des banques où la richesse est bien protégée par des gardes armés.

En ville, tous les contrastes se rejoignent. Y survivre est affaire de débrouille et d’ingéniosité.

Beaucoup vont à la capitale espérant y trouver un salut… Et c’est l’entassement. Une urbanisation sauvage ceinture la capitale au mépris des règles les plus élémentaires d’hygiène et de sécurité. Des zones d’habitation précaires s’accumulent aux flancs des ravins.

 

La circulation automobile illustre la violence faite à l’homme de la rue: il n’y a pas de place.

La rue est comme un miroir de la vie du pays avec son insécurité, sa violence, sa dureté, ses viols et assassinats.

C’est cette existence risquée que vivent pas mal de jeunes et même d’enfants. Rebelles ou écrasés, insoumis et pourtant solidaires, garçons et filles ont un immense besoin d’être approchés, regardés, apprivoisés et reconnus dans leur expérience besoin aussi d’être accompagnés pour trouver une issue.

 

C’est ce que Gérard Lutte a perçu, il y a quelques années, quand son travail auprès des jeunes de la rue lui a fait découvrir leurs richesses, leurs difficultés et surtout leurs appels.

L’intuition qu’un projet ne pouvait se construire qu’à partir d’eux, avec eux et au cœur même de ces espaces transitoires et de ces groupes mouvants où ils grandissent, s’affirment ou se font écraser sinon tuer ou violer ou encore détruire petit à petit par les solvants qu’ils inhalent à longueur de journée pour oublier la faim ou la peur.

 

En divers lieux de la ville, on peut les rencontrer: au parc Colomb, à la neuvième avenue ou encore au parc Concordia... Le matin, on se réveille difficilement, on se salue, on se compte et puis vient le moment d’un casse-croute (si on peut  se l’offrir) car manger est une des préoccupations premières dans la rue.

 

Des divers groupes émergent des meneurs qui acceptent d’être animateurs dans ces divers lieux de vie. Ici, ils tentent d’exprimer symboliquement l’esprit du mouvement au cours d’une réunion avec des bénévoles adultes… Avec Anabella, accompagnatrice adulte et Lucy qui seront bien vite rejointes par José, Mirna et Estuardo.

De temps à autre, en fin de semaine, un groupe ou l’autre fait une sortie à l’extérieur de la ville. La journée commence par quelques jeux relationnels, un peu de sport et ensuite, avant le repas, un moment où le projet du mouvement est à nouveau repris et chacun peut réagir, donner son avis ou être là tout simplement avec les autres parce que le groupe existe et qu’on y est bien sans plus. Vient ensuite le moment du repas préparé ici par deux bénévoles: Helena et Mariellos.

La réalité de la rue a ses aspects sordides comme cette cave du parc Colomb, véritable dépotoir où garçons et filles trouvent refuge le soir, sans avoir l’énergie pour nettoyer et rendre ce lieu plus convivial. Au parc Central, par contre, ils ont trouvé la scène du théâtre de verdure tout à fait à leur goût. Mais pour combien de temps?

Les jeunes sont majoritaires au Guatémala. Les enfants sont précieux. Voulus ou non, quand  ils arrivent, les mères, les parents leur donnent le meilleur et, dans leur simple couverture ou leur carton, ils sont déjà princes ou princesses. Un carton pour berceau,  c'est pas terrible mais il y a l’affection; le bruit de la rue, c’est infernal, mais il y a la tendresse… Et l’on voit les parents de la rue déployer des trésors de patience et d’amour dans des conditions qui restent toujours précaires.

Et si la rue est difficile à vivre, elle a ses joies, ses moments de proximité, ses expressions, ses convivialités. Et c’est toujours une victoire sur le repli, sur le non-sens, la drogue, la violence ou la prostitution.

Les discussions, les rencontres, la participation à certaines manifestations amènent progressivement une prise de conscience d’appartenir à un mouvement à condition d’y adhérer, d’accepter certaines exigences et de participer. Une charte prend forme, ils l’élaborent après discussion, confrontation et acceptation par un vote.

Alors se produisent des déclics qui sont comme des jalons sur leur itinéraire… Ils peuvent oser des choix, être plus actifs dans leur propre histoire.

Ainsi émerge un jour, au parc Colomb, l’idée de rendre salubre le sous-sol qui les abrite la nuit. D’y être arrivés, d’avoir réussi, c’était fête et parce qu’aussi, se réjouissaient avec eux des témoins attentifs et bienveillants.

Le résultat : un lieu propre qui va être repeint et la joie visible d’un projet mené à terme.

Mais pour être viable à long terme, le projet avait besoin d’un lieu pour rassembler, alphabétiser, offrir nourriture, sanitaires et douches, permettre aussi des mini projets où les jeunes deviennent acteurs de leur évolution.

Au centre ville, une vieille maison est maintenant presque restaurée avec l’aide des jeunes. Reste à installer cuisine et d’autres ateliers qui seront autant de moyens proposés pour sortir de la violence, de la drogue et en fin de compte de la rue.

Et au moment des adieux, si peu que vous ayez partagé leur vie, ils vous disent combien ils tiennent à vous.

Ainsi parlait Rigoberta Menchu, cette grande dame maya: «ce qu’il nous faut véritablement, c’est tout simplement la liberté d’exister, de vivre, de développer notre culture et e redécouvrir le sens de notre histoire.»

 

André Stuer